L'anthologie shôjo manga de Keita Maruyama

Pour le trentième anniversaire de sa marque, le créateur de mode Keita Maruyama a réuni plusieurs mangakas pour faire une anthologie consacrée au shôjo manga, cible éditoriale qui l'a beaucoup inspiré. Elle s'intitule très sobrement Keita Maruyama Anthology et est sortie au Japon le 25 avril 2025.


Ce magnifique recueil contient un texte de Novala Takemoto, quelques dessins commentés de Yukari Ichijo et surtout des œuvres inédites de plusieurs autrices. On retrouve donc Ai Yazawa (Nana, Paradise Kiss), Akiko Higashimura (Princess Jellyfish, Tokyo Tarareba Girls), Chica Umino (Honey and Clover, March comes in like a Lion), Erica Sakurazawa (Angel, Entre les draps), Fusako Kuramochi (A-Girl, Simple comme l'amour), Haruko Kumota (Le rakugo à la vie à la mort, La grande traversée), Naito Yamada (À l'ouest de Tokyo, Beautiful World), Naoko Mazda (Réimp' !) et Satoru Hiura (Hotaru). Un très beau programme pour ainsi dire.

Pour commencer, le livre est magnifique. Le design est juste sublime, avec sa jaquette transparente sur laquelle il y a des extraits des mangas. Sur la quatrième de couverture, les noms des artistes présents sont inscrits en lettres dorées. L'absence de couverture sur le dos - laissant entrevoir les cahiers - casse toutefois un peu l'esthétique du livre et lui confère un aspect artisanal. Mais le côté pratique faisant que l'ouvrage s'ouvre parfaitement pour profiter des dessins prend le dessus sur l'objet livre.

Je ne vais pas revenir sur tous les mangas présents dans l'anthologie mais Erica Sakurazawa signe les première et dernière histoires du recueil. Très clairement, on comprend qu'elle occupe une place importante dans la vie de son ami Keita Maruyama. C'est une autrice essentielle du josei manga qui est de la même année que Kyoko Okazaki (1963) et ensemble, elles ont grandement influencé le manga féminin pour adultes et notamment la naissance du magazine Feel Young. Si Kyoko Okazaki ne dessine plus suite à son accident, Erica Sakurazawa continue à faire du manga. Et cela faisait longtemps que je n'avais pas lu l'autrice. C'est de ce fait avec grand plaisir que j'ai retrouvé son trait après m'être délecté de tout ce qui est sorti en français entre 2005 et 2008. C'est quelque chose qui en dit long sur le traitement catastrophique du josei manga en France, car l'une de ses plus grandes représentantes n'est plus publiée. Déjà, les éditions Kana n'ont jamais sorti le dernier volume de sa saga Angel qui s'intitule Tenshi no Sumumachi. Bref, Erica Sakurazawa n'est plus publiée en français de nos jours, et c'est quelque chose qui me désole.


Il y a beaucoup de mangakas que j'adore dans le recueil et, sans trop de surprises, mes deux histoires préférées sont celles de Chica Umino et de Haruko Kumota. Chica Umino parle de Keita Maruyama dans son pur style narratif qui donne l'impression de se plonger dans un carnet tandis que Haruko Kumota aborde l'homosexualité au sein d'un récit raffiné.



Cependant, il ne faut pas se leurrer, le véritable événement du livre est la présence d'un nouveau manga de l'immense Ai Yazawa ! Bon, le récit ne fait que quatre pages et tient beaucoup de l'illustration, mais quand même, c'est à souligner. Sans un mot (juste une onomatopée) et tout en couleur, elle signe un Yazawa All Stars avec plusieurs de ses personnages se réunissant pour fêter l'anniversaire de la marque de Keita Maruyama. C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai lu ce court récit et avec beaucoup d'intérêt que j'ai regardé le name en noir et blanc présent dans le livre. Aussi brève soit cette histoire, elle justifie pour moi à elle seule l'achat de ce recueil.



Ai Yazawa n'est pas la seule à avoir utilisé de la couleur dans le livre. C'est aussi le cas du manga de Naito Yamada ainsi que de l'illustration de Fusako Kuramochi. Cette dernière a signé sur une double page une illustration de son manga A-Girl avec des tenues de Keita Maruyama. Cela tombe bien puisque ce titre est sorti en français tout récemment, fin 2024 aux éditions Akata. L'illustration est bien évidemment sublime et j'espère de tout cœur que de nouveaux mangas de cette grande autrice seront publiés en français prochainement.


En fin de livre, Keita Maruyama dresse une liste commentée de ses 100 shôjo mangas incontournables. Shôjo manga au sens large du terme. Très large. Il y a également du josei, du BL, du seinen, du garo-kei... Si les fans francophones sont très à cheval sur les catégories éditoriales, les japonais, très souvent, s'en fichent royalement. Ainsi, on retrouve dans la sélection des mangas comme L'ère des Cristaux, Dans un recoin de ce monde, Réimp !, Emma, Bride Stories, Plaire à tout prix, March comes in like a Lion, What did you eat yesterday?, Tensai Family Company, et, plus surprenant encore, La jeune fille aux camélias. C'est l'occasion de rappeler que ce chef-d'œuvre de l'eroguro (ainsi que les mangas de Suehiro Maruo en général) est, au Japon, apprécié avant tout d'un public féminin.

C'est également le cas de nombreux mangas d'horreur comme Baptism de Kazuo Umezz qui est lui aussi présent dans la sélection et qui a quant à lui bel et bien été publié dans un magazine shôjo. On retrouve de nombreux shôjo et josei mangas tels que Le Clan des Poe, Liddell au clair de lune (il y a trois mangas de Yoshimi Uchida dans la sélection d'ailleurs), Le Poème du Vent et des Arbres, La Rose de Versailles, Banana Fish, A-Girl, Gokinjo, Paradise Kiss, Nana, Kids on the Slope, Honey and Clover, Le rakugo à la vie à la mort, Chihayafuru, Le Pavillon des Hommes, Princess Jellyfish, À fleur de peau, Basara, Card Captor Sakura, Nodame Cantabile, Happy Mania, Hana Yori Dango, Hotaru et Utena. Pour éviter les frustrations, je n'ai cité que les mangas publiés en français, sinon il y a également de grands classiques inédits tels que Glass no Kamen et Hi Izuru Tokoro no Tenshi.

On retrouve aussi trois mangas de Kyoko Okazaki (mes trois préférés en plus) : River's Edge, Helter Skelter et Pink. Ce dernier est souvent considéré comme un seinen manga en Occident mais c'est un non-sens total puisque c'est un pionnier du josei manga moderne qui a été publiée dans New Punch Zaurus à une époque où les magazines féminins refusaient d'éditer cette autrice trop en avance sur son temps. Et pour finir, dans la sélection de Keita Maruyama, il y a trois BL que j'aime beaucoup : Doukyusei, Shinjuku Lucky Hole et Smells Like Green Spirit.

Si je parle aussi longuement de cette sélection, c'est parce que je vous conseille tous les titres présents pour découvrir ou approfondir vos connaissances sur le manga féminin. Il y a beaucoup de mes mangas fétiches dedans et j'ai été agréablement surpris de les retrouver dans ce livre. Vu que Keita Maruyama semble avoir de grandes connaissances en manga (ce n'est pas le premier venu qui citerait des autrices comme Fumiko Takano et Yoshimi Uchida), une absence m'a tout de même intrigué : celle de Mars, d'autant plus lorsque l'on connait les liens de Fuyumi Soryo avec la mode.


Quoi qu'il en soit, c'est un livre magnifique et indispensable à quiconque aime le shôjo manga. Il est entièrement en japonais et je pense qu'il ne sera jamais officiellement traduit. L'intérêt est donc limité au livre de collection pour celles et ceux qui ne lisent pas la langue. Malgré tout, il faut souligner que l'histoire d'Ai Yazawa n'a pas de dialogues ou que l'on peut tout simplement profiter des illustrations comme celle de Fusako Kuramochi.



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